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L’assurance s’effacera-t-elle derrière son objet ?

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Jean Pierre DANIEL
Président - VIGIE
Coauteur de La Sécurité sociale au cœur de la démocratie

 

En un temps que les moins de 70 ans ne peuvent pas connaitre les sociétés d’assurance fabriquaient des contrats en fonction de considérations purement techniques et les remettaient à leurs réseaux de distribution, à l’époque uniquement des agents et des courtiers, et ceux-ci se chargeaient de les vendre. Ce n’était pas très grave puisque les produits étaient obligatoires ou s’adressaient à une clientèle aisée dans un univers non concurrentiel.

En un temps que les moins de 60 ans connaissent les sociétés d’assurance ont senti la nécessité d’adapter leurs produits aux besoins des clients. Le marketing est entré dans l’assurance dans les années 70. Les sociétés d’assurance se sont alors rendu compte qu’elles étaient des commerçantes, paradoxalement d’ailleurs parce que des mutuelles que l’on appelait « sauvages » à l’époque leur prenaient des parts de marché.

Depuis ces temps bien des progrès ont été accomplis. Les contrats dans leur version papier sont devenus beaucoup plus lisibles et les termes les plus abscons en ont été bannis. La généralisation de la publicité a fait que les garanties sont expliquées et, si l’assuré veut s’en donner la peine, il peut comprendre ce que le réseau commercial lui propose. La pression des organisations de consommateurs relayée par les pouvoirs publics, et aujourd’hui par Bruxelles, a largement participé à cet effort de simplification. Ces mêmes organisations de consommateurs ont contribué à la disparition de modes de rémunération qui poussaient certains vendeurs à recourir à des méthodes de vente qui s’apparentaient à de l’escroquerie légalement admise.

Plus récemment, avec l’entrée des banques sur le marché de l’assurance dommages et grâce à la technologie, un très important effort de simplification des procédés de règlement des sinistres a été accompli. Longtemps, et bien après que les contrats aient été rendus lisibles, le règlement d’un sinistre même banal représentait pour l’assuré moyen une véritable « galère ». Les procédures, toujours écrites, étaient fastidieuses et tatillonnes, marquées par un juridisme inutile dans lequel les régleurs de sinistres se complaisaient. Aujourd’hui la très grande majorité des sinistres, qui sont souvent simples et de faibles montants, se règlent par téléphone dans des délais très courts.

Et malgré tous ces progrès l’assurance reste mal aimée et n’est pas perçue comme une activité comme les autres. On ne voit que ses défaillances - les trains qui n’arrivent pas à l’heure - sans voir ni son rôle économique, ni son utilité sociale. Selon un récent sondage 55% des français se disent méfiants à l’égard de l’assurance et 3% des anglais seulement auraient totalement confiance dans leur assureur.

Plutôt que de se lamenter face à ce constat, ne faut-il pas accepter l’idée que l’assurance ne sera jamais aimée et que personne n’aura jamais envie d’acheter de l’assurance. L’assurance dont l’achat renvoie à l’accident, à la maladie, à la dépendance est tout sauf un achat « coup de cœur ». En cette période où le concept de disruption est à la mode, n’est-il pas temps d’admettre que les efforts pour faire de l’assurance une activité comme une autre sont vains. N’est-il pas temps de réfléchir à cette contradiction : on a de plus en plus besoin d’assurance mais personne n’a envie d’en acheter, ni même d’en entendre parler.

Les assurances affinitaires semblent défricher ce qui sera peut-être demain la distribution de l’assurance. Elles réussissent à vendre de l’assurance sans que le client ait le sentiment d’en acheter, en tous cas sans qu’il ait à faire une démarche spécifique. La Carte Neige, la location de voiture, la vente des séjours touristiques incorporent depuis longtemps de l’assurance dans leurs produits. Il en a été longtemps de même pour les prêts immobiliers, et la difficulté qu’il y a aujourd’hui pour tenter de dissocier prêt et assurance montre bien que l’emprunteur trouve une certaine commodité à cette inclusion.

Il est vrai que cette approche ne concernerait aujourd’hui et demain que les produits de masse des particuliers. Pour les contrats des entreprises leur complexité même rend indispensable le rôle du conseiller. Il en va de même pour des produits de particuliers qui supposent un vrai conseil qu’il s’agisse des produits de placement ou de la couverture de risques spécifiques. Les garagistes essaient depuis longtemps de vendre l’assurance en même temps que la voiture. En France ils n‘y parviennent pas, mais chez nos voisins le système fonctionne. Il y a fort à parier qu’un constructeur trouvera un jour le modèle économique qui rendra, en France aussi le système viable. Les banques, quand elles s’efforcent avec succès de vendre la multirisque habitation en même temps que le crédit immobilier, sont dans la même logique. Sans parler, si l’on pense assurance affinitaire, à la vente des téléphones portables ou des crédits à la consommation qui comportent des garanties d’assurance de personnes.

On objectera avec raison que si le client ne se rend pas compte qu’il achète de l’assurance, il ne saura pas ce qu’il achète. Mais peut-on croire sérieusement que les clients qui achètent un contrat auprès d’un intermédiaire physique lisent les documents qui leur sont remis ? Et que dire des souscriptions par Internet où le client se précipite pour cocher les cases d’acceptation, afin de terminer le plus vite possible le processus d’adhésion ? Il reviendra au régulateur de veiller, au-delà du respect de la seule législation comme il le fait déjà, à « l’honnêteté » des contrats vendus.

Il restera aux assureurs, mais surtout aux start-ups qui gravitent autour d’eux, à trouver les supports qui permettront de faire coïncider la souscription indolore de l’assurance avec l’utilisation qu’en fait le client.

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