L’époque actuelle voit fleurir quantité de startups, ceci dans tous les domaines et en particulier dans l’assurance. De nombreux observateurs ou acteurs estiment que l’émergence de ces nouvelles structures est le principal facteur de changement dans la profession et risque de renvoyer les grandes compagnies actuelles au rang de dinosaures dans un avenir très proche.
Cependant, ce phénomène de rupture technologique est-il totalement nouveau ? Et sinon, est-il nécessairement synonyme de disruption ? D’ailleurs, les grandes évolutions de l’assurance ont-elles toujours été liées à la technologie ?
Sans remonter aux calendes grecques – ou plutôt au 16e siècle et son premier contrat à Gênes – l’arrivée de la technologie fut l’œuvre du Groupe Drouot (devenu AXA) et de son président Georges Tattevin qui implanta dès les années 50 la 1ere machine électronique capable de gérer des polices d’assurances (sic), rue Drouot. C’est lui aussi qui incita ses pairs à s’intéresser à ce mode de gestion venu des USA et pour ce faire créa un organisme professionnel dédié à la prospective (le CAPA). Mais ce n’est pas lui qui créa le maelstrom ! Ce sont les mutuelles sans intermédiaires et plus particulièrement Jacques Vandier, ex commissaire-contrôleur de la Direction des Assurances, qui créa la MACIF. Bien sûr, l’entreprise disposait d’autres atouts – que l’on n’appelait pas encore « marketing » - qui firent frémir les acteurs en place dès les années 60 : distribution directe par des bureaux salariés qui suivaient scrupuleusement les consignes de souscription (contrairement aux réseaux intermédiés), politique rigoureuse de sélection des risques, mais surtout standardisation des contrats, suppression des options, ce qui rendaient par là même possible une gestion plus informatisée et conduisait à des coûts de gestion faibles (ils ont bien progressé depuis !). Ces mutuelles, souvent dédiées à une profession (enseignants pour la MAIF, fonctionnaires pour la GMF) pratiquaient ainsi les prémices de la segmentation. En quelques années elles capturèrent 1/3 du marché des particuliers IARD, puis 50%.
Nul doute que l’exploitation intelligente de l’informatique a été la base de leur succès.
Vers la fin des années 70 / début des 80’, une nouvelle forme de commercialisation fut importée des Etats Unis : le Direct Marketing. Cette forme de vente à distance sans aucun autre intermédiaire que les courriers postaux, inventée par USAA (compagnie dédiée aux militaires américains) faisait un carton outre-Atlantique et servit de modèle à quelques entreprises françaises comme la Concorde (aujourd’hui Generali) avec une offre d’indemnités journalières d’hospitalisation particulièrement soignée et agrémentée de nombreux add-on. Très vite, les assureurs de la place y virent le moyen de bypasser leurs réseaux traditionnels pour vendre des produits à forte marge.
Mais c’est le développement de l’usage du téléphone dans les années 90 qui engendra de nouveaux espoirs. Les fleurons du phone-marketing comme Direct-Line en UK et Centraal Beheer aux Pays-Bas pouvaient laisser croire que demain l’assurance des particuliers ne serait plus qu’une commodity et que les réseaux allaient disparaître. Les apports technologiques étaient : les fichiers informatiques et leur traitement, la segmentation, le call-center.
Plusieurs filiales de « Direct » furent créées en France. Peu continuent de réellement exister, comme Direct Assurance (AXA).
Certains, comme XAAR, tentèrent même de mixer les atouts nouveaux et ceux des MSI ; mais l’expérimentation a vite lassé les investisseurs irlandais.
Force est de reconnaître, des années après, que cela n’a guère fait bouger les parts de marché. Bien au contraire, les assureurs en place ont intégré ces techniques dans leur distribution.
Au même moment, tous les espoirs étaient permis pour mieux connaître, cerner, gérer, équiper le client, grâce au CRM. Des budgets faramineux ont été engloutis dans de tels projets sans donner les résultats escomptés (ex. abandon du projet Ariane par le GAN lors de son rachat par Groupama, procès entre la MAIF et IBM,…).
Dans les années 90, APRIL réussit à révolutionner le marché de la Complémentaire Santé en reprenant à son compte une invention de Solly Azar : le courtier grossiste. Non seulement l’idée intelligente était de s’appuyer sur les réseaux généralement insatisfaits des compagnies mandantes mais surtout, il promettait l’émission du contrat en 48h chrono là où certaines sociétés demandaient … 2 mois. Là encore, la technologie était en 1ere ligne grâce à des outils nouveaux modulables.
C’est aussi dans ces années 90 qu’apparurent les premiers comparateurs. Jusqu’alors, pour obtenir un tarif, le client devait se connecter au site de chaque compagnie et remplir à chaque le fastidieux questionnaire, ce qui limitait fortement les possibilités de comparaison. Désormais, avec la couche interface SQL, il est possible d’interroger de multiples assureurs simultanément avec le même questionnaire. Même si les assureurs ont freiné des quatre fers, l’usage des comparateurs est entré dans la pratique des consommateurs.
On pourrait évoquer la bancassurance dont l’essor a été et reste incontournable, d’abord en Vie, puis en Dommages. Mais autant les NTIC se sont révélées un facteur majeur de disruption dans le domaine bancaire (CB, DAB, Internet,…), autant leur rôle est resté secondaire en bancassurance.
Enfin, à l’approche du nouveau millénaire se pointait un élément réellement disruptif : Internet.
Le premier à se lancer dans la course fut une startup, INEAS, qui se voulait européenne et qui dès son lancement travaillait sur plusieurs pays ; à chacun son rôle (conception des produits, gestion, sinistres…) et aucun siège en France. Pas non plus de contact téléphonique si ce n’est en cas de sinistre. L’expérience a duré quelques mois et a surement englouti quelques budgets. Sans doute, comme on dit pudiquement, elle n’a pas trouvé son marché…
Dès le passage à l’an 2000, des initiatives fleurirent, comme celle des AGF avec OK Assurance ou All-Secure d’Allianz, ID Macif, Amaguiz... Gros budgets, produit mal pensé et mal ficelé, encore des flops. Comme s’il suffisait de mettre une offre sur le Net pour que les clients accourent !
Aujourd’hui encore, l’assurance tout-internet reste marginale, même si les consommateurs se sont appropriés les avancées technologiques et maîtrisent la recherche sur le Web, les comparateurs, le selfcare, etc. Mais bien souvent les offres ne concernent que des besoins marginaux (trottinettes, retards d’avion, chien-chats, ….). Cependant quelques enseignes au statut de compagnie d’assurance semblent avoir trouvé le moyen de se développer sur les marchés majeurs que sont la Santé, l’auto et la MRH ; à suivre donc …
Ces insurtechs qui représentent en quelque sorte aujourd’hui la R&D de l’assurance méritent la plus grande attention. Comme pour toute création d’entreprise, le risque d’échec est important. Le plus intéressant n’est peut-être pas de concentrer l’attention sur les candidates-licornes mais sur toutes les innovations qui peuvent être intégrées pour rendre l’assurance plus efficiente.
Et surtout, ne pas oublier que beaucoup des grands changements viennent de la règlementation, de l’Etat et des assureurs eux-mêmes (IDA, CIDRE, CATNAT, TGN, GAV,…).
Christian Parmentier
Président, Demain l’assurance