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Les époques de l’assurance et de la création de valeur.

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Michel REVEST
Ancien-Directeur Recherches & Innovation d’un groupe d’assurance
Membre du Pôle Finance Innovation

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Le temps de la gestion (années 60 et début 70), décennies de l’informatique et de la gestion, de la mécanisation et de l’industrialisation des contrats et du service après-vente ; naissance des services (assistance). La valeur développée est celle de l’administration.

Le temps de la distribution (années fin 70, 80, 90), celui de la concurrence des mutuelles et de la bancassurance ; l’introduction du marketing de masse (et en fait du marketing dans les services financiers), de la relation client descendante, des réseaux de distribution, du lien client. La valeur est celle des réseaux au travers des clients « tenus » par les réseaux physiques ; notion de la captivité des clients.

Le temps de la distribution s’est digitalisée, mais ce n’est pas, et n’a pas été, pour l’assurance, un temps « nouveau » au sens où les acteurs restent les mêmes à ce jour et où il y a eu digitalisation des réseaux de distribution et de gestion des acteurs en place ; c’est un temps transformé, mais ce n’est pas un temps « révolutionnaire » avec émergence de nouveaux acteurs de l’assurance, comme la distribution en avait fait naître avec les mutuelles et les bancassureurs.

Le vrai temps nouveau, en cours, est celui du risque ; la nouvelle valeur à investir pour les assureurs, celle qui pourra faire naître de nouveaux acteurs, est celle du risque. Le besoin social est réel, et pressant ; les outils nouveaux, les nouvelles possibilités technologiques (intelligence artificielle, gestion des données), comme en leur temps pour la distribution, permettent de créer « une nouvelle matière assurable », pour ceux qui pourront, sauront la saisir.

 Le temps des nouveaux risques est celui du vieillissement et de la santé (dépendance comprise), des évènements naturels et du climat (catastrophes naturelles), des cyber-risques (gestion des données personnelles), des risques liés aux bio et nanotechnologies (les risques de l’utilisation de l’ADN), des robots et des processus autonomes (véhicules autonomes), …

Les trois niveaux de l’assurance ou à quoi sert l’Assurance dans nos sociétés ?

  1. Le niveau de la mutualisation, celui de l’assurance actuelle. L’assurance représente entre un tiers et une petite moitié du PIB (44% du PIB en France). En excluant l’épargne vie, qui finance les risques futurs des personnes (retraite, dépenses futures en lissant les revenus sur la durée de la vie, dépendance, transmission, prévoyance des proches,…) par l’épargne individuelle et collective (entreprises) pour une petite part pour cette dernière, l’assurance stricte mutualisée, celle des risques, est de 38 % du PIB en France (6 % du PIB pour l’épargne) et  toujours  une part majeure dans les autres pays développés. La ventilation entre les secteurs publics ou parapublics et le privé peut être très différente selon les cultures des pays. En France 90 % du financement des risques est public ou parapublic (CNAV, Agirc-ARRCO, Assedic, collectivités locales et organismes d’Etat, etc.). La répartition entre ces deux secteurs en France est un des enjeux majeurs pour l’assurance, si elle sait répondre aux besoins et sait y répondre en faisant la preuve d’esprit d’innovation et de créativité, être pertinente en sachant prendre ses responsabilités.
  2. La protection des patrimoines. Sans assurance, les patrimoines sont fragiles, menacés. Patrimoine des particuliers, des commerces et professions libérales, des entreprises (TPE, PME, ETI et grandes entreprises). Ce sont des dizaines de milliards d’€ que protègent les assureurs. Il faut mettre en correspondance le volume des primes qui protègent et les patrimoines que l’assurance couvre. Ce ratio est à faire car la montée des nouveaux risques (changement du climat, mais aussi cybersécurité, risques juridiques, nouveaux matériaux, numérisation des process, développement de l’industrie 4.0, voire modification de l’ADN,…). Pour faire prendre conscience de la nécessité de mieux couvrir les patrimoines face à l’émergence des nouveaux risques, la valorisation des patrimoines protégés semble nécessaire. Cette protection ne doit pas se limiter aux biens physiques (immeubles, terres, meubles, objets, machines,..), aux conséquences des atteintes aux biens (pertes d’exploitation), aux indisponibilités des personnes, mais aussi au patrimoine de demain, celui de la préservation des patrimoines immatériels (marques, brevets, savoir-faire, process, données, fichiers, …). Un patrimoine « humain » est à inventer ; un nouveau terrain pour l’assurance.
  3. Les risques de demain. Une fois défini l’enjeu en termes de patrimoine à défendre, il faut définir les nouveaux risques, ceux de demain qui feront l’assurance de demain, ceux de l’environnement, des NCTI, du patrimoine humain découvert et monétisé, du patrimoine immatériel entrepreneurial. L’histoire de l’assurance est celle de la connaissance des risques ; l’assurance est la mutualisation de risques connus, basée sur l’histoire des risques. Les acteurs historiques avaient un atout clé, majeur, l’ancienneté des risques donnait les moyens de faire la différence avec les acteurs nouveaux ou moins bien placés. Les nouveaux risques, ce qui est un mur qui se dresse devant nos sociétés, ne sont pas connus ; l’ancienneté sert moins, voire pas. Les nouveaux moyens technologiques procurent les ressources pour l’assureur ce qui ne pouvait pas l’être. Une ouverture pour de nouveaux acteurs, si les acteurs actuels ne saisissent pas leur chance. Tous les patrimoines sont concernés par cette évolution des risques.

Un champ de recherche s’ouvre pour l’assurance, qui doit ne plus gérer des modalités limitées aux façons de répartir les sommes à mutualiser, une assurance « quantitative », mais redéfinir leur métier en développant ce qui est leur coeur de métier, la gestion des risques en définissant les moyens de mutualiser les pertes. L’assurance doit devenir plus qualitative, s’interroger sur la performance de sa mutualisation (ex : mise en cause pour la santé), la mutualisation des 38 % en France, entre le public et le privée est-elle optimale ?

La Société s’oriente vers une socialisation des risques (qui n’est plus réduite à la santé, la retraite, le chômage, mais s’ouvre à d’autres risques) où l’assurance devra prendre sa part. Il faut trouver les moyens de mesurer la performance de la mutualisation par l’assurance comme pour les pouvoirs publics.

L’assurance a toujours été plutôt passive ; il lui faudra être proactive.

Les nouveaux risques, nombreux, lourds, et surtout peu ou non connus obligent les assureurs à repenser leur rôle de façon dynamique. Les nouveaux moyens technologiques leur apportent les ressources nécessaires.

Pour innover, créer, se développer les sociétés ont besoin d’assureurs qui garantissent de nouvelles activités, de nouvelles industries, de nouvelles façons de produire, d’offrir des services. Les nouveaux risques de l’économie positive, collaborative, les nouvelles façons de produire l’énergie, de soigner, de produire biens et services ont changé ; les assureurs doivent relever ce challenge.

Les assureurs ne doivent pas se contenter de protéger les patrimoines matériels et immatériels contre les risques classiques et émergents, nouveaux, mais être les facteurs du développement en offrant les protections que les entrepreneurs souhaitent pour prendre leurs risques  d’entrepreneurs ; d’offrir les couvertures  sans lesquelles les entreprises n’existeraient pas ou ne se développeraient pas.

A l’actif, les assureurs couvrent le bilan des sociétés avec les patrimoines ; au passif, les assureurs sont les garants du développement et de la créativité des sociétés.

Le développement, la croissance, le progrès des sociétés seront en danger avec les nouveaux risques si les assureurs se révèlent défaillants. La productivité, le PIB, la croissance dépendent de la capacité des assureurs à assurer les risques. Moins de risques pris en charge se traduit par une croissance moindre, altérée, voire mise en danger.

La valeur créée par les assureurs sera fonction de leur créativité et donc de savoir être transversal, de répondre aux besoins préalablement identifiés, transcendant leurs silos techniques, de créer une interface multi produits, multiservices. Les assureurs devront devenir « multi-univers », car les nouveaux risques sont devenus « trans-branches », ne respectent plus les anciens codes des assureurs.

Ces risques sont autant d’opportunités pour des nouveaux entrants du marché, l’importance de l’assurance, pilier de nos sociétés, son poids dans la production intérieure brute que la concurrence ne devrait pas tarder, malgré tous les obstacles juridiques, financiers, plus que techniques. Même le coût financier ne paraît pas – plus - être un obstacle.

Raison d’être de la Société et de son pilier assuranciel : la gestion de notre futur.

Trois futurs, trois « sorties » possible pour les sociétés.

Celle d’une échéance proche, d’une fin de l’homme à la mesure de ce que nos sociétés peuvent mesurer (des centaines d’années ?) ; l’humanité reste dans un temps présent, le sien, pas celui de la nature, de la terre. Temps de la religion qui attend son Messie de façon immanente. La Terre est le jardin des hommes : finalement, est-il nécessaire pour le préserver pour des milliers d’années ou beaucoup plus ? Pourquoi une survie de la Terre après l’humanité ?  Faut-il créer une nature contre l’humanité ? Cela a toujours été, pour l’essentiel, le temps de l’histoire de nos sociétés occidentales, de ses économies, de ses entreprises, de ses pouvoirs.

Celle de la fin de l’humanité. Gérer notre terre, envisager notre futur à l’aune de la durée de vie de notre espèce, environ 100.000 ans ; temps humain qui nous oblige à gérer notre maison, la terre pour le temps que nous avons à y vivre. C’est le temps des Gafa, des nouvelles entreprises digitales, des économies nouvelles. Les frontières de ces entreprises, qui pèsent sur les pouvoirs, c’est l’humain. Les frontières seront repoussées ; l’ambition de certaines est l’immortalité, une frontière devenue sans borne. Le futur de nos sociétés s’en trouvera transformé.

Celle de la Terre. Le futur n’est plus le futur individuel de notre espèce. Notre futur doit englober ce qui nous suivra ; il nous faut construire un futur qui laisse la place à ce qui nous suivra, à la nature finalement, même si celle-ci peut effacer, efface périodiquement ce qui existe, mais à des échéances de durée qui dépasse le sens commun de l’humanité. Si l’humanité venait à devenir, devient immortelle, ne survit indéfiniment, il faudra à l’humanité se créer un futur qui dépasse le futur de la Terre.

Commentaires

  • Merci pour cette analyse intéressante. Le métier de l'assureur est en grande partie axé sur la gestion des risques. Mais lorsque les risques deviennent certains, je pense notamment aux événements climatiques, cela remet en cause le modèle de détermination des primes. Certains risques ne pourront plus être assurables et pour ces risques il faut favoriser une assurance ou une réassurance "publique-privée" et développer davantage la prévention qui reste un levier important dans la diminution de la sinistralité.

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