Christian Parmentier
Président, Demain l’assurance
Cette pandémie, qui n’a pas dit son dernier mot, aura pour effet, aux dires de nombreux commentateurs, d’accélérer fortement les évolutions en cours. On entend plus que jamais beaucoup de discours sur les thèmes « à la mode » et/ou favorables au business des cabinets de consultants.
Il faut bien sur prendre un peu de recul par rapport à ces projections et surtout ne pas perdre de vue que cette crise aura exacerbé la nécessité de retour aux fondamentaux ; c’est-à-dire les prix pour les consommateurs les plus touchés par la crise et la rentabilité pour les entreprises. C’est dans ce contexte que je pense qu’il faut maîtriser son enthousiasme pour la réalisation de projets comme l’entreprise à mission, la RSE, l’inclusion, le tout-digital – notamment. Sans doute des progrès seront accomplis mais –selon moi – à condition de modifier en profondeur certaines pratiques assurantielles. C’est dans cet esprit que j’ai rédigé ces quelques pages qui pourront paraître à certains (comme souvent) à contre-courant du politiquement correct.
L’assurance peut-elle suppléer l’etat ?
Nous avons la sensation aujourd’hui de vivre dans un monde de catastrophes à propos duquel les médias ne se privent pas de noircir le tableau et de nous promettre le pire.
Changements climatiques et son cortège de fléaux : innondations et submersions, sécheresse, tempêtes, affaissements de terrains,… ; séïsmes, pollution ; immigration non maîtrisée ; émeutes ; pandémies,…
C’est sans doute oublier que, pour notre région du monde, l’histoire a montré bien pire : guerres, famines, crises économiques, pandémies (de la peste à la grippe espagnole).
Toujours est-il que l’Etat se voit obligé d’intervenir à chaque événement d’ampleur.
Il en profite pour demander aux grandes institutions financières une contribution : fonds de solidarité, PGE pour les banques. Mais à quel titre ? Celui de la-dite Solidarité Nationale ? Rappelons tout de même que quasiment plus aucun de ces établissements n’est nationalisé ; ce qui était parfaitement admissible – comme la souscription quasi-obligatoire des emprunts d’Etats – avant les années 90, ne l’est plus autant en 2020.
Ce terme Solidarité est aujourd’hui mis à toutes les sauces. Il faudrait rappeler que la solidarité est le fait de s’obliger mutuellement : je participe à une aide pour des citoyens malchanceux car, en contrepartie, s’il m’arrive la même mésaventure, je serai aidé. Comme nous le rappelait André Conte-Sponville lors d’une conférence du LAB, l’assurance est la forme aboutie de la solidarité.
Bien souvent, ce que l’on nous prélève par les impôts et les cotisations sociales n’ont pas de contrepartie. Alors comment appeler cela ? Don, charité, spoliation,… ?
Si l’Etat peine à gérer les cataclysmes, pourquoi ne pas en confier la responsabilité aux assureurs ? Une tentive avait déjà été faite par le passé quand Claude Bébéar proposait de gérer la Sécurité Sociale…
Les CATNAT sont une bonne illustration de ce qui est possible de mettre en place. Mais, attention, la répétition des événements et l’augmentation de leur gravité sont telles que le système assurantiel ne peut les prendre en charge sans mettre en péril sa solvabilité qui, par ailleurs, est fortement encadrée, même si l’Autorité de Contrôle se montre moins pointilleuse en ce moment.
Le modèle économique de l’assurance repose sur un engament précis (le contrat) dont le coût est évalué (plus ou moins) scientifiquement sur le principe de la répartition. Ce modèle implique une connaissance des risques et leur sélection. L’absence de sélection a toujours conduit au désastre.
En revanche, le système des CATNAT exclut la sélection. Cela veut-il dire que pour prendre en charge ce type de dommages, l’assurance doit être obligatoire ? Certaines ne devraient-elles pas l’être, à l’exemple de la Grêle contre laquelle peu d’exploitations sont assurées, mais dès qu’un orage survient, les exploitants en appellent à l’Etat.
Comme il est difficile d’imaginer que dans le futur, l’Assurance puisse être totalement écartée des catastrophes, un modèle serait sans doute à imaginer avec l’Etat en définissant précisément le rôle de chacun. Malheureusement, il faut toujours une crise majeure(et des milliers de victimes…) pour que les choses avancent, tel le projet actuel de CATEX (surtout, ne pas mettre de « s » au milieu du mot) mené par la FFA pour protéger les commerces frappés de fermeture administrative pour cause de pandémie !
L’assurance peut-elle être full digital ?
L’accord est quasiment unanime sur le fait que la pandémie va accroître la digitalisation.
Cette tendance, déjà observée depuis plusieurs années, va donc s’accélérer fortement du fait des confinements successifs. Cependant, des différences existent selon les secteurs d’activité. Il y a, bien sur, les activités ne pouvant par nature être dématérialisées : artisans, HCR,… Et puis, il y a celles qui le sont déjà largement comme la Banque.
Quant à l’Assurance, si certains processus sont de plus en plus digitalisés, la souscription full Web reste encore marginale. En fait, elle concerne aujourd’hui essentiellement des produits banalisés et des produits accessoires correspondant à des besoins secondaires (smartphones, trottinettes, etc.).
Pour avoir testé - et même souscrit – moi-même en ligne des contrats majeurs (Auto, MRH, Prévoyance), j’ai pu constater que ce mode de distribution présentait des risques certains pour le client :
- moins il y a de questions posées, moins le risque est cerné,
- les conditions générales restent équivalentes à celles des contrats vendus traditionnellement (volume, texte juridique, exclusions, obligations,…),
- les CG sont adressées sous forme numérisée ce qui rend leur consultation difficile (60 pages en PdF…),
- des clauses-types et des déclarations sont intégrées dans les documents signés sans attirer l’attention sur leur importance,
- la rédaction des questionnaires rend souvent les réponses difficiles, voire impossible. Afin de poursuivre la souscription le client est contraint d’opter pour une réponse proposée ; ce qui peut constituer une fausse déclaration à terme.
Quant aux chatbots, ils comprennent rarement ce que l’on exprime et renvoient vers un service client qui ne répond pas au téléphone.
Ce ne sont là que quelques exemples constatés.
Si la possibilité de souscription en ligne est un plus incontestable, elle doit néanmoins faire en sorte que le client soit réellement protégé. Et ce n’est pas avec les contrats que l’on trouve généralement en ligne qu’il l’est. Le fantasme de souscrire en 3 clics un contrat d’une certaine importance (ex. assurer sa résidence secondaire ou sa famille) pourrait devenir réalité pourvu que :
- les contrats soient expurgés des pièges que l’assuré découvre au jours du sinistre,
- les événements assurés soient non seulement clairement exposés mais très larges pour éviter les trous de garantie ; de même la façon d’indemniser,
- -plutôt que faire signer des déclarations pré-imprimées, faire exposer l’usage/la situation par le client : l’I.A. est l’outil qui le permet,
- transformer les innombrables pages de garanties et restrictions en formule TOUT SAUF.
C’est à ces conditions que la souscription digitale pourra vraiment protéger le client.
L’assurance peut-elle être soutenable ?
Le phénomène RSE est à la mode, ce n’est rien de le dire ! Quelques entreprises ont même conduit le processus à son terme : devenir une entreprise à mission.
Des économistes ont opposé à cette démarche que l’objet d’une entreprise est de satisfaire ses clients, rémunérer ses actionnaires et éventuellement de bien traiter ses salariés ; mais en aucun cas de sauver la planète… (c’est la règlementation qui doit gérer cet aspect).
Concernant l’activité d’assurance, il semble n’y avoir que du positif à intégrer des valeurs de RSE dans le fonctionnement (respect des clients, des salariés et prestataires, de l’environnement,…).
Cependant, la mission première de l‘assurance étant de protéger leurs clients, certains assureurs d’entreprises peuvent se trouver confrontées à des dilemmes.
On n’évoquera pas à ce niveau la stratégie d’investissement assez facile à rendre compatible avec la RSE (ex. ne plus investir dans les activités charbonnières). En revanche, en matière de garantie, le sujet devient moins évident :
- les entreprises susceptibles de part leur activité de provoquer des dommages de pollution ne vont-elles plus pouvoir s’assurer ?
- le personnel de sociétés « jugées néfastes » à l’environnement n’aura-t-il plus accès à des garanties de Prévoyance ?
N’est-ce pas le rôle de l’Assurance de pallier les désordres liés à une activité ?
Bien entendu, il est difficile de cautionner les pollueurs caractérisés, mais cela est déjà écarté des contrats au titre de faute intentionnelle, faute lourde, absence d’aléa, etc. !
Il y a fort à parier que les discours actuels sur le RSE se retrouveront bientôt dans le même placard que la TQM – Total Quality Management – des années 90
L’assurance peut-elle être vraiment inclusive ?
« L’Inclusion » est un mouvement de fond touchant tous les secteurs d’activité.
Si l’on se réfère à Wikipédia : « Le concept d'inclusion sociale a été utilisé par Niklas Luhmann pour caractériser les rapports entre individus et systèmes sociaux. Il a réservé le terme d'intégration aux rapports entre systèmes. L'inclusion sociale est aussi considérée comme le contraire de l'exclusion sociale ».
De nombreuses marques, surtout Grand Public, font des efforts pour s’adresser à tous, et c’est louable.
Quid de l’Assurance ?
Par nature, l’activité d’assurance exige de segmenter les risques – et cela passe notamment par les individus – et de les sélectionner afin de constituer des mutualités homogènes. Certaines sociétés, surtout des mutuelles affinitaires, ont statutairement limité leurs souscriptions à des catégories :
- en général présentant des risques moindres comme les instituteurs, les fonctionnaires,
- mais pas que : professions médicales (problème de la RC médicale en particulier), malussés, personnes à risque en santé,…
A ma connaissance, aucune entreprise en France ne pratique de segmentation raciale ou ethnique comme j’ai pu le voir aux USA (le marketing ethnique est d’usage), en Allemagne vis-à-vis des turques, ainsi qu’aux Pays-Bas et en Belgique à l’égard des clients provenant du Magreb.
Bien au contraire, l’Assurance française qui respecte scrupuleusement l’interdiction de toute discrimination, ne pratique plus de différenciation entre conducteurs mâles et conductrices. Au-delà des interdictions, nos assureurs abordent souvent la souscription sans distinction individuelle comme pour les assurances collectives d’entreprises.
Mais accepter d’assurer tout le monde sans distinction reste contraire à l’esprit et la pratique assurantielle et mène inéluctablement à de lourdes pertes. Entoria en en fait récemment l’expérience avec un produit destiné aux professions indépendantes sans sélection médicale !
Cependant, on pourrait imaginer qu’un assureur affinitaire s’engage à accepter tous les membres de leur segment d’activité sans aucune exclusion. Ce serait là une démonstration plus éloquente d’entreprise à mission que d’aller chercher du développement vers un autre segment d’activité…
L’assurance doit-elle être plus empathique ?
On sait que le développement du digital comporte le risque de déshumaniser la relation-client.
On dépense beaucoup d’énergie (et de budgets) pour fluidifier le fameux « parcours client ». Il est vrai que les process ne sont que rarement idéaux, ou fluides comme on aime à dire maintenant ; mais ce n’est pas vrai que pour l’assurance. Il suffit de se connecter à son compte-client d’Orange ou d’appeler la hotline pour s’en rendre compte.
Si la digitalisation permet d’offrir un service 24/7 avec rapidité, l’intervention de l’Humain n’en est que plus cruciale lorsque cela est nécessaire.
L’empathie doit s’exercer en « one-to-one », que ce soit sur une plateforme téléphonique ou en face-à-face. C’est par exemple l’agent qui se déplace sur le lieu du sinistre dans l’instant où il en a connaissance, qui aide ses clients à trouver des solutions d’urgence, les rassure.
Mais l’empathie doit aussi s’exercer au niveau global, et notamment dans la communication de l’entreprise.
L’exemple du coronavirus est à cet égard éloquent.
On retiendra notamment les annonces de la FFA quant à la contribution demandée par l’Etat : il lui a fallu beaucoup insister (menacer ?) pour obtenir des rallonges.
On se souviendra aussi de la cacophonie des assureurs et bancassureurs quant aux gestes qu’ils faisaient pour leurs clients pas vraiment garantis.
Enfin, on a suivi – et l’on suit toujours – le feuilleton mettant en scène AXA et ses clients restaurateurs : dans un cas on indemnise, dans l’autre non ; finalement cela se finit au tribunal qui tranche tantôt en faveur de l’un, tantôt en faveur de l’autre. Comment avoir confiance dans ce que l’on a souscrit ?
Une chose est certaine : si la mission de l’Assurance est de protéger ses clients, il faut savoir, en cas de sinistre, les prendre en charge psychologiquement et matériellement en dépassant le strict cadre des clauses du contrat.