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Livre blanc 2021 - Page 5

  • Virus, infections et Histoire

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    Michel Revest

    Ancien-Directeur Recherches & Innovation d’un groupe d’assurance

    Membre du Pôle Finance Innovation

    Pour une interprétation historique de la Covid 19.

    L’histoire humaine a été façonnée, forgée par les épidémies, les maladies infectieuses. Toute l’humanité aurait pu être éliminée  par les virus et autres infections et l’a été en certains lieux. Les maladies infectieuses et virales sont à l’origine de la disparition de cultures  humaines et de la suprématie d’autres. Si elles sont un fléau, elles ont été une arme pour les vainqueurs de l’expansion de l’espèce sapiens sapiens, l’humanité actuelle.

    La domestication d’espèces animales a mis en contact les agriculteurs sédentaires avec les virus et autres infections dont avec le temps elles ont été protégées, « vaccinées ». Les agriculteurs ont ainsi occupé les terres et éliminé la plupart des chasseurs-cueilleurs. Les colonisateurs, sans le savoir, ont bénéficié de cette arme plus efficace que leurs armes terrestres, comme ce fut le cas en Amérique des conquistadors espagnols et portugais. Pour nous, les vainqueurs, les virus des animaux n’ont pas été toujours le mal. La protection  des populations au contact de ses animaux domestiqués a été un bouclier. Les virus n’ont pas été un problème mais une des clés de la suprématie de nombre de peuples actuels.

    Mais, selon un autre point d’analyse, l’humanité de siècle en siècle a été éliminée, réduite dans son temps de vie par les maladies infectieuses. La norme était de mourir jeune, car on mourrait de telles infections et ce jusqu’à des temps très proches. Personne ne prétendait  vaincre ces maladies, c’était la nature voulue par nos  dieux qui réduisait notre espérance de vie. Les maladies infectieuses, les virus,  faisaient partie du monde, de la vie normale ; l’humanité les subissait et ne pouvait pas les vaincre ; elles étaient la volonté de puissances supérieures ; les religions les faisaient accepter à des peuples résignés.

    La règle pour la plupart était de mourir jeune. Ce sont les progrès de la médecine, de Pasteur, de l’hygiène, de la découverte des microbes qui ont permis de vaincre les maladies infectieuses ; on vit plus longtemps dans le monde moderne, on vit mieux parce qu’on a vaincu les maladies infectieuses et virales. L’essor du développement des sociétés et de leur économie, bien plus que la vapeur et l’électricité, présentées comme les révolutions du 19ème à l’origine des sociétés modernes,  est dû à la victoire de l’humanité sur ce qui la tuait précocement, les infections et virus. Elle lui a donné son bien le plus précieux, le temps.

    La Covid nous fait revenir à nos origines ; c’est un choc ! Il y a eu des précurseurs récents, SARS, MERS, H1N1 et les grippes du 20e siècle dont la grippe dite « espagnole » qui  semblait venir de Shanghai et a été diffusée par l’intermédiaire des soldats américains en étant responsable de la disparition de 2.5 à 5 % de la population mondiale.

    On retrouve notre fragilité originelle, première. On avait oublié ce qu’on était et qui était toujours présent ; la grippe espagnole a été bien pire que la Covid 19 sans que l’on en en ait conscience et pris aucune des mesures actuelles ; les effets et conséquences de la deuxième guerre mondiale ont effacé la grippe espagnole de nos mémoires qui aurait fait 175 à 300 millions de morts avec le niveau de la population mondiale actuelle. Les virus ont toujours été là, venant du même endroit, la Chine, à quelques exceptions près (Sida, Ebola). Avec toujours la même cause, la proximité des humains avec les animaux. Tous les progrès qui nous font vivre vieux semblent effacés avec la Covid qui menace précisément surtout les plus âgés d’entre nous.

    Notre temps de vie redevient un temps compté ; dans notre imaginaire,  on passe de la certitude d’avoir le temps à celui de l’incertitude de ne pas en avoir suffisamment ; de la maîtrise de notre vie à celui de ne plus en être maître. Nos sociétés ont gommé ce qui avait l’ordinaire  de notre vie, fixé les limites de notre temps,  étaient les vraies contraintes de nos progrès et de notre développement, les vraies sources  d’inégalités (seuls les nantis pouvaient vivre vieux pour le plus grand nombre) : les maladies infectieuses. Nous avions en fait oublié ce qui a été toujours présent. Les barrières dont on croyait qu’elles nous protégeaient étaient bien illusoires. Cette vérité bouleverse nos sociétés dans l’actualité de la Covid 19, en attendant les autres ?

    La crise de la Covid est ainsi une crise de l’espèce humaine ramenée à sa réalité.

    Que peut et doit faire l’assurance ?

    Doit-elle inventer de nouveaux mécanismes de solidarité financière et de nouveaux services quand les Etats ne peuvent pas tout faire et devront laisser la place aux acteurs économiques ?

    Il n’y a pas de progrès sans que l’assurance offre de solutions aux risques de la société. Le risque de la Covid remonte aux temps les plus anciens de notre existence : une insécurité existentielle quand l’assurance est le fournisseur de la sécurité aux côtés des Etats qui ne peuvent pas tout assumer.

    Le poids de l’assurance en France est de 4 % du PIB pour les risques et 6 % pour l’Epargne Vie : ce poids est-il appelé à s’accroître avec de nouvelles garanties et de l’invention de nouvelles utilisations de l’Epargne Vie, pour mobiliser les ressources de l’assurance dans la maîtrise des conséquences des maladies virales ?

    L’assurance Santé offrira-t-elle des moyens, des services pour mieux prévenir et guérir ces infections, en se positionnant comme un acteur clé ?

    Aux acteurs de l’assurance de répondre.

    La réponse semble toutefois dépendre de   la perception de la crise de la Covid par les politiques et acteurs de la société.

    La Covid 19 sera-t-elle une parenthèse refermée avec la vaccination ou fera-t-elle partie des nouveaux risques, avec le climat, la technologie, le numérique ?  Les risques infectieux et viraux seraient une composante de la nouvelle panoplie de risques ; une nouvelle branche de l’assurance à traiter spécifiquement, une nouvelle source de développement de l’assurance, acteur crucial de nos sociétés, qui s’enrichirait d’une nouvelle activité.

    On ne peut que penser que la Covid et les autres « nouveaux risques » obligent les acteurs de l’assurance à se réinventer, ou que d’autres acteurs  prendront leur place, car l’assurance comme activité et prestataire de services, elle, ne peut disparaître.

  • Le secteur assurantiel est dans une transformation majeure depuis quelques années avec plusieurs éléments qui se conjuguent

    Brossard.jpgNelly Brossard

    Dirigeante dans l'assurance – dans différents types de structures : courtage, start-up, mutuelles – avec un fil rouge : le développement, l’innovation, le e-commerce, le digital, et le marketing.

    Au comité stratégique de plusieurs startup et actionnaire de plusieurs insurtech

    Membre du réseau d'experts insurtech / fintech de Blackfin

    Engagée pour la parité hommes/ femmes dans l'assurance et dans la Tech

    Site : nellybrossard.com

    LinkedIn : linkedin.com/in/nelly-brossard

    Twitter : @nelbro

     

    Des réglementations plus intenses, l’apparition de nouveaux risques liés à la technologie et des risques naturels liés aux changements et aléas climatiques et de nouveaux besoins et marchés (vieillissement de la population, chômage, dépendance, santé, protection des entrepreneurs…).

    L’évolution des comportements et attentes des consommateurs se traduisant par à la fois de nouvelles formes souhaitées d’assurance (assurance à l’usage, comportementale, multiplications des offres de niches…) et surtout une toute autre expérience et relation clients attendue pour répondre à ces évolutions. En effet, l’expérience client a pris une place de premier plan et chaque acteur doit proposer une excellente expérience durant tous ses contacts et interactions avec les clients pour répondre à ces attentes et que chacun vive une expérience unique.

    Par ailleurs, un besoin d’engagement fort, d’impact, de transparence, de confiance est vivement demandé aux entreprises d’assurance à la fois par les consommateurs et les collaborateurs. 

    Enfin, l’environnement concurrentiel s’est fortement intensifié – une concurrence devenue internationale – avec l’arrivée de nouveaux acteurs sur ce marché (insurtech, GAFA, BATX,…) et l’utilisation du digital et des technologies (data, Intelligence Artificielle, objets connectés, blockchain…) sur l’ensemble de la chaîne de valeur, et le développement des écosystèmes ouverts (les plateformes) et les évolutions fortes des systèmes d’informations (« APIsation » et le développement de l’« open insuring »).

    Au regard de ces éléments, le secteur de l’assurance doit donc impérativement faire évoluer en profondeur ses modèles, devenir réellement centré sur les clients avec des produits et services adaptés, simples, beaucoup plus transparents, et personnalisés. Il doit s’engager dans la croissance économique durable, et surtout, développer une relation de confiance plus que jamais nécessaire et attendue, et ce, d’autant plus avec cette crise sanitaire et économique que nous vivons actuellement. Celle-ci constitue un accélérateur de transformation à la fois pour les grands groupes, car elle a davantage mis en lumière certaines attentes très fortes des consommateurs et partenaires – proximité, digitalisation, transparence, préservation du pouvoir d’achat, qui doivent aller beaucoup plus vite, et aussi pour tous les acteurs sur ce marché.

    Pour répondre à ces enjeux et attentes majeurs, deux grandes voies d’évolution s’offrent pour les « assureurs  classiques / grands groupes » afin de se développer, trouver de nouveaux relais et créer de la valeur.

    La première voie est de choisir de s’intégrer aux plateformes existantes et aux nombreuses  plateformes à venir (mobilité, habitat, santé, bien-être…) pour concevoir et fournir les offres d’assurance adaptées et pouvoir s’intégrer directement dans les différents biens et services (avec une assurance embarquée) et / ou dans les parcours des consommateurs (e-commerce). Pour ce faire, l’ouverture et l’APIsation du système d’information et l’agilité pour mettre à disposition les offres avec ces plateformes, insurtech ou partenaires sont clés…

    La seconde voie est de décider d’aller bien au delà du rôle d’assureur actuel et du cœur de métier et de créer sa propre plateforme avec des partenaires et différents écosystèmes pour devenir un véritable « offreur de solutions et de services larges » vers les clients. Des services proposés dans le cadre d’une relation clients forte, de confiance, basée sur une connaissance clients et des interactions très fréquentes. Il s’agit de devenir l’interlocuteur et le lien privilégié du client durant toute sa vie pour lui proposer avec d’autres acteurs et partenaires des produits, des conseils et des services toujours parfaitement adaptés à ses besoins et personnalisés. Cela nécessite de considérer le parcours du client dans son ensemble et d’être toujours le point de contact privilégié de l’assuré et de devenir de vrais partenaires et alliés du quotidien, et de toujours être en mesure de lui apporter une solution… Ma conviction est que cette seconde voie est vertueuse et constitue pleinement le rôle de l’assureur.

    Une nouvelle ère s’ouvre pour l’assurance, plus ouverte, avec des services élargis, une relation plus forte, plus digitale et plus humaine et fortement engagée dans la croissance économique durable.

  • Pour quoi aller au bureau ? Ou la règle des trois unités revisitée au temps du télétravail

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    Norbert Girard

    Secrétaire général

    Observatoire de l'Evolution des Métiers de l'Assurance

    Le confinement dans lequel s'est trouvé plongée la majorité de l'humanité au printemps dernier a très vite révélé que la crise sanitaire à laquelle il venait en réponse aurait parallèlement de lourdes conséquences économiques. Pour tenter d'en limiter les effets néfastes, le recours au télétravail a ainsi été décuplé dans de nombreuses activités. Mais en fait, c'est notre façon de penser le travail, c'est-à-dire de concevoir comment produire les biens et les services qu'attend la société, qui est fondamentalement remise en question.

    Comment envisager le travail à distance, la gestion de projets, l'animation des équipes ? Comment concilier productivité et convivialité ? Contrôle ou vigilance : quelle place pour la confiance dans les relations ? Sur fond de révolution digitale/numérique, ce ne sont là que quelques questions – néanmoins fondamentales – auxquelles l'ère servicielle qui s'ouvre aura à répondre.

    « Qu'en un lieu, en un jour, un seul fait accompli
    « Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli ».

    En deux alexandrins, Boileau formalisait ainsi la règle des trois unités qui s'appliquait alors aux pièces de théâtre (in Art poétique, 1674). Si nous ne sommes plus au Grand Siècle, on ne manque toutefois pas de faire un parallèle avec notre représentation classique du travail.

    Ainsi, le premier précepte posé se retrouve dans l'existence d'un lieu de travail distinct. Culturellement, le principe admis est celui du cloisonnement de l'espace professionnel afin d'éviter toute confusion – au sens originel du mot – avec celui de la vie privée. Aussi n'est-ce sans doute pas un hasard si l'on veille tant à ne pas mélanger ces deux univers au motif principal de préserver l'équilibre entre vie privée et vie professionnelle. De fait, l'interpénétration de ces deux sphères est généralement considérée comme négative, a fortiori quand on est salarié (soit environ 90% de la population active en France). D'ailleurs, tout comme on « part en vacances », l'expression « aller au travail » témoigne bien de cette volonté de spécifier l'endroit dédié pour cette autre nature activité, lequel doit être obligatoirement différent de son lieu de vie ordinaire.

    La distinction des temporalités ou espace-temps est également très prégnante dans notre rapport traditionnel au travail. Le lieu où l'on se trouve détermine aussi le temps où l'on travaille. Par symétrie, on ne peut donc se situer sur son lieu de travail que pour produire…

    Enfin, l'unité d'action résulte conséquemment des deux points précédents. Dans cette trilogie d'unités, chacune est intrinsèquement cause et conséquence des deux autres : on ne conçoit pas l'activité professionnelle hors d'un même lieu et temps de travail… qui lui-même définit la nature de ce que nous devons accomplir… en fonction de là où nous nous situons… Cqfd.

    Le télétravail est-il soluble dans l'organisation scientifique du travail ?

    Dès lors, c'est sous forme de question qu'une première critique émerge à l'encontre de certains crédos de l'organisation scientifique du travail (OST) : est-ce travailler que d'échanger des informations autour de la machine à café ? Si la réponse est bien affirmative, l'idée sous-tendue par les contempteurs des Taylor, Fayol et autres Stakhanov est que l'efficacité de toute organisation repose pour une large part, voire en priorité, sur la qualité des relations interpersonnelles entre acteurs.

    Quelle que soit la qualité des circuits institutionnels, des ajustements, compléments, interprétations seront toujours nécessaires pour être efficace, sans parler d'efficience. Un bureau des méthodes ne peut garantir l'entièreté et la pertinence des normes et règles qui définiront la finalité de chaque métier et la représentation qu'il doit avoir de la « belle ouvrage ». L'engagement des collaborateurs dans une production collective se gagne surtout au travers des échanges informels qui nourrissent la vie des entités. C'est précisément cette proximité entre acteurs impliqués qui forge un esprit d'équipe mais en plus fortifie un intérêt partagé pour le travail bien fait et la bonne marche de l'entreprise. Et chacun sait, au final, que la meilleure équipe n'est pas forcément celle disposant du meilleur matériel ou constituée des meilleurs joueurs…

    Rapportées au contexte du télétravail, ces trois dimensions n'ont plus vocation à demeurer associées. Qu'il s'agisse d'agir seul, en binôme ou en groupe, elles réinterrogent notre rapport au travail et, plus profondément encore, la manière par laquelle nous envisageons de subvenir à notre existence. La question du sens à donner à nos actions, quelles qu'elles soient, resurgit alors avec encore plus de force. Pourquoi aller au bureau si l'on produit aussi bien, voire mieux et davantage depuis chez soi ? Pourquoi gaspiller du temps et de l'énergie dans des allers-retours domicile / travail si l'on peut ainsi économiser de la vie pour soi et pour les siens, tout en réduisant son impact sur la planète ?

    De l'expérimentation hésitante du télétravail à sa généralisation forcée.

    Bien que relativement peu déployé dans l'assurance, de manière récente et inégale selon les métiers et statuts, le télétravail n'est pourtant pas nouveau (Cf. ROMA 2018 et 2019 sur le site de l'OEMA). Ce qui a pu freiner sa diffusion jusqu'alors s'explique principalement, soit par la nature de ce qui est à produire, soit par le lieu d'usage ou de consommation de ce qui est produit, soit par un jugement de valeur négatif quant à la capacité de ce type d'organisation à satisfaire l'objet social de l'entreprise.

    Si cette distinction se comprend aisément dans les deux premières situations, il ressort pour le dernier motif que ce sont généralement les dirigeants et les managers de proximité qui ont été les plus réticents à sa généralisation : les premiers, faute souvent d'une intimité suffisante avec le terrain des métiers ; les seconds, faute souvent de confiance allouée à leur équipe et demeurant ancrés dans une représentation verticale de l'entreprise. Dans les deux cas, reconnaissons néanmoins qu'il est difficile de s'écarter de l'approche classique – qu'assène depuis plus d'un siècle toute « bonne » école de gestion – d'une organisation pyramidale dichotomisant conception et exécution.

    Le (télé)travail est-il toujours le même marqueur social ?

    S'il ne faut pas sous-estimer ou nier certaines problématiques contingentes à la période passée (équipement incomplet, garde d'enfants et / ou école à la maison, open space avec son conjoint, apprentissage de nouveaux outils et de façons de faire, connexion aléatoire…), le constat général est celui d'une hausse notable de la productivité. En créant les conditions d'une plus grande sérénité (absence de transports, souplesse d'articulation vie privée/professionnelle, autonomie…), le télétravail favorise la concentration et permet d'être plus performant dans une grande majorité de cas.

    Pour autant, si l'activité ou le métier exercé demeurent toujours un facteur premier d'identité sociale, force est d'admettre que les motifs qui nous poussent à nous rendre collectivement sur un même lieu de travail – en l'occurrence, le bureau – ne se limitent pas uniquement à produire.

    Durant la période de confinement que nous avons vécue, la privation de notre liberté de circuler a permis de rappeler – s'il en était besoin – notre instinct grégaire. Car ce n'est peut-être pas tant le fait de limiter nos déplacements que celui de ne pas être ensemble qui a posé le plus problème. Ainsi, les apéros en téléconférence, les rassemblements collectifs sur les balcons des immeubles ou sur les pas-de-porte des pavillons, l'utilisation inhabituellement décuplée des communications de toutes formes (appels vocaux ou en visio, SMS, MMS, chat et posts en tous genres...) témoignent de notre besoin essentiel d'être en lien et, par là même, de faire société.

    La confiance, carburant de l'action

    La complexité des choses et l’incertitude du futur freinent l'action ou empêchent d'agir. Il nous faut donc nécessairement avoir confiance dans une « référence » pour résoudre et dépasser une situation problématique : une organisation, une méthode, un standard, un collectif, une personne… Sans doute est-ce ce constat de notre incomplétude individuelle qui nous pousse vers les autres. Concrètement, seule la mutualisation de nos risques et de nos imperfections peut nous permettre de compenser nos propres limites et de dépasser nos capacités/possibilités. Chacun connaît l'adage : « Tout seul, on va plus vite ; ensemble, on va plus loin ».

    Si incontournable soit-elle, la confiance ne s'impose pas pour autant, a fortiori si l'on a la volonté l'ériger en mode de coordination / régulation du travail. Comme en mathématique ou en assurance, elle est une espérance dans l’avenir face à un risque que l’on sait mais dont la maîtrise est incomplète. Et bien que construite sur la durée par les preuves objectives du passé, elle n’est jamais acquise ad vitam aeternam et doit impérativement s’entretenir pour perdurer. Il y a une certaine forme d’abandon irraisonné à l’autre pour le futur…

    Depuis la nuit des temps, le dilemme est ainsi toujours le même : faut-il faire confiance ou non ? Et, si l’on accepte le pari, sous quelles conditions ?

    Contrôle et confiance s’excluent mutuellement !

    « La confiance n'exclut pas le contrôle… » aimait à répéter Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine.

    Combien de fois a-t-on effectivement entendu cette petite phrase pour justifier le regard plus ou moins paternaliste, ou carrément inquisiteur, porté sur notre travail. Sauf que l'on oublie qui en était l'auteur… ce qui est loin d'être neutre. Dans les modèles d'organisation autoritaires en effet, chaque action peut faire l'objet d'une critique exercée par l'hiérarque garant de l'ordre imposé. Dans cette logique verticale, il ne s'agit pas tant de rassurer l'individu sur la confiance qui lui est accordée, que de réaffirmer le pouvoir qu'il ne détient pas et, incidemment, sa position subalterne.

    Or, l'une des conséquences de cette posture systémique de défiance est qu'elle affaiblie voire annihile la possibilité de relations sereines et épanouies en générant une ambiance malsaine de suspicion. Certes, on peut être confiant dans sa manière personnelle d'appliquer la règle prescrite, le cadre procédural, le cahier des charges... Mais au-delà du respect de ce formalisme institué, est-on certain d'être jugé favorablement au plan des relations interpersonnelles que l'on entretient avec son manager, ses collègues, ses clients ? Est-on vraiment dans le contexte d'une relation de bonne intelligence qui, seule, peut favoriser la prise d'initiative ? Permet-on la dérogation à la règle générale pour s'adapter au cas particulier et engendrer la satisfaction de celui pour qui l'on agit ?

    Erigés en culture, cette surveillance latente et ce contrôle intégral finissent à terme par déresponsabiliser les individus, les équipes, la société toute entière. Comment en effet accepter de s'impliquer, de s'investir dans l'action en contournant – ou tout juste interprétant – la norme standard, si l'on n'est pas certain de l'autonomie réelle dont on dispose ? Pourquoi s'aventurer à prendre ce risque ? Pour quel bénéfice ?

    Manager par la confiance augmente le risque d'être plus performant…

    Agir en responsabilité exige de disposer d'un cadre de libre arbitre dans ses prises de décision. Quel que soit le résultat obtenu, bon ou mauvais, assumer ses décisions doit aussi conduire à en obtenir de la reconnaissance. Ce point est d'autant plus important à prendre en compte que l'engagement et la coopération sont aujourd'hui devenus les indispensables leviers de la performance. Lorsque la qualité perçue repose davantage sur la subjectivité de son destinataire que sur le strict respect d'un process, faire correctement son travail suppose de livrer une part de soi-même, et donc d'en obtenir de la gratitude.

    Si la confiance s'oppose par principe au contrôle, il ne s'agit pas pour autant de refuser tout cadre formel, toute règle ou procédure. Autonomie n'est pas liberté… et n'empêche ni l'autocontrôle ni la vigilance. Ainsi, manager par la confiance ne doit pas être considéré comme une forme de laxisme ou de refus d'assumer sa fonction d'encadrant. S'entendre préalablement sur les résultats attendus n'est donc pas contradictoire avec l'adoption d'une posture de bienveillance, quand la latitude d'action laissée au collaborateur a été clairement définie en amont. Là se situe la responsabilité du manager dans son (nouveau) rôle d'accompagnant : définir le champ d'autonomie allouée et fournir les moyens nécessaires à l'atteinte des objectifs mesurables que l'on s'est fixés ensemble.

    Passée sa phase d'expérimentation, il ressort que le télétravail souligne avec force l'importance d'instaurer un climat de confiance dans les relations. La distance géographique entre les personnes impose en contrepartie davantage de proximité, voire de complicité, pour conforter la place de l'humain au sein des collectifs. Certes, ce mode de fonctionnement demande un certain temps d'adaptation et d'apprentissage, tant du côté des équipes que des lignes managériales. Néanmoins, on peut raisonnablement faire le pari que cette voie, plébiscitée par une majorité de salariés, est celle qui conciliera au mieux les enjeux de mutation de notre modèle productif et les attentes sociétales qui s'expriment désormais à l'échelle de la planète.