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Demain l'assurance - Page 13

  • Demain l’Insurtech : 3 questions à Philippe Moulin

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    Philippe Moulin

    CEO de DriveQuant

    Demain l’assurance : Data et assurance : Simple renouveau ou relais de croissance ?

    Philippe Moulin : La data a toujours joué un rôle central dans la définition des contrats d’assurance, avec au départ l’exploitation de données simples liées principalement à la démographie des assurés et à leur historique de sinistres. A la fin des 1990’s, les premières assurances paramétriques font leur apparition pour mieux couvrir l’activité agricole intimement liée au climat et seront ensuite appliquées aux autres secteurs d’activité météo sensibles. Plus récemment, le secteur de l’assurance auto a débuté une transformation grâce à l’exploitation des datas de conduite. Les données collectées permettent de créer des programmes d’assurance à l’usage, en mesurant le temps passé au volant, les distances parcourues, ou encore le comportement routier.

    Ce qui est nouveau en revanche, c’est l’abondance et la facilité d’accès à ces datas à faible coût grâce à l’évolution des technologies de collecte vers le Smartphone et les objets connectés (IoT). C’est une véritable source d’opportunités pour les assureurs qui ont la possibilité de créer de nouveaux modèles s’appuyant sur des données encore jamais exploitées, et nous n’en sommes qu’au début. Côté assurance auto/moto, il est par exemple devenu simple de déployer une application mobile capable à la fois d’accompagner les assurés pour la gestion de leur contrat d’assurance, tout en capturant et en traitant en temps réel leurs données de conduite.

    L’ère de l’assurance auto connectée qui débute est vertueuse puisqu’elle bénéficie au professionnel et au consommateur. D’un côté l’assureur peut établir des profils de risque précis et mettre en place des actions de prévention ciblées et efficaces pour réduire le risque routier, automatiser la gestion des sinistres et apporter des services d'assistance aux clients. Côté assuré, les technologies basées sur le Smartphone leur apportent une tarification plus juste, basée sur l’usage réel de leur véhicule, ainsi que des services qui dépassent le cadre simple de leur contrat d’assurance tels que la détection des accidents et l'assistance en temps réel, le coaching, les systèmes de récompenses ou encore les programmes d’éco-conduite.

    Demain l’assurance : Startups et grands groupes assurantiels : ennemis ou complémentaires ?

    Philippe Moulin : Startups et grands groupes assurantiels sont en général très complémentaires. En effet, l’agilité des Insurtechs permet aux groupes assurantiels d’innover plus rapidement et surtout de capitaliser sur des technologies qui ont déjà été développées. D’ailleurs, la pérennité économique des petites structures innovantes de cet écosystème est souvent liée aux relations nouées sur le long-terme avec ces groupes et à l’importance de processus de cocréation continue pour toujours servir au mieux les assurés.

    Parmi les Insurtechs, on observe d’un côté l’émergence d’acteurs qui grignotent des parts de marché en se positionnant directement en concurrence des groupes historiques via des modèles pure players en BtoC, et de l’autre des fournisseurs de technologie qui se positionnent sur le segment BtoB ou BtoBtoC. Si dans le premier cas de figure on peut moins souligner le caractère complémentaire d’activité des insurtechs vis-à-vis des grands groupes assurantiels, elles jouent un rôle important de catalyseur pour les pousser à investir et se réinventer. Quant aux insurtechs qui fournissent des technologies via des services intégrés en marque blanche par les assureurs et autres assurtechs, c’est la position de DriveQuant par exemple, la notion de complémentarité est ici essentielle. Nous ne pourrions ni développer notre activité ni déployer nos solutions seules, mais nous permettons aussi à nos partenaires de tirer profit de services qu’ils ne pourraient structurellement pas concevoir seuls.

    Demain l’assurance : La crise sanitaire a-t-elle réellement changé la donne, ou le business repartira-t-il ?

    Philippe Moulin : Le secteur de l’assurance auto est au cœur d’une mutation accélérée par la crise de la COVID-19. Les assurés ont constaté l’inadéquation de leur contrat d’assurance auto lorsque leurs véhicules se sont retrouvés immobilisés pendant de nombreuses semaines en conséquence des confinements et restrictions de déplacements. Certaines compagnies d’assurance ont d’ailleurs pris l’initiative de rembourser une partie des cotisations aux assurés suite à la diminution logique du nombre d’accidents. Mais cela n’est pas suffisant. La demande pour des produits d’assurance plus justes et transparents ne cesse de croître, c’est-à-dire l’accès à des tarifs basés sur l’usage réel des véhicules.

    En France, nous n’en sommes qu’aux prémices de l’ère de l’assurance auto connectée. Si tous les acteurs du marché (ou presque) ont déjà testé ces technologies, aucun d’entre eux n’a réellement franchi le cap pour attirer de nouveaux clients ou de transférer leurs assurés vers ces offres connectées. Mais cela semble être une question de mois à présent si l’on observe les dernières tendances. Dans le monde, le marché de l’assurance auto télématique pesait déjà plus de 25 milliards de dollars en 2019 et est estimé à 115 milliards en 2027[1]. Les USA, l’Italie, le Royaume-Uni et le Canada restent les marchés les plus importants. C’est d’ailleurs pour cette raison que la stratégie de DriveQuant a très vite de ne pas concentrer son activité uniquement sur l’hexagone pour accompagner cette révolution globale du secteur de l’assurance.

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    Ingénieur des Mines de Paris et Docteur en Mathématiques Appliquées, Philippe Moulin commence sa carrière dans le milieu automobile. Il travaille d’abord pour des fabricants de pièces auto, puis rejoint l'Institut Français du Pétrole et des Énergies Nouvelles (IFPEN). Après avoir été le leader de nombreux projets innovants autour des véhicules connectés, Philippe décide de fonder DriveQuant en 2017 afin d'offrir au marché des services d'analyse de la conduite en s'appuyant sur son expertise de la physique.

    [1] Source: Insurance Telematics in Europe and North America – 5th Edition by Berg Insight AB

     

  • Le télétravail, une solution d’avenir pour le monde de l’assurance ?

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    André Hess

    Président du Directoire – SADA

    La récente crise liée au Covid 19 et ses effets collatéraux, comme le confinement, ont donné un coup de projecteur à cette forme de travail car il était et il est indispensable que l’économie de notre pays soit maintenue dans les meilleures conditions.

    Mais le télétravail, comment se définit-il ? Est-ce une pratique récente ?

    La définition du télétravail, donnée par l’article L.1222-9 du Code du Travail, est relativement claire. « Le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication ». En revanche, l'application de cette nouvelle méthode de travail nécessite à bien des égards de se pencher sur un bon nombre d’items : encadrement juridique, légal, sociétal…

    Cette formule de travail n’est pas nouvelle. Originaire des États-Unis, le télétravail consiste à exercer ses tâches professionnelles à distance. Que ce soit à la maison ou encore dans un lieu de coworking, l’employé est en mesure de travailler, du moment qu’il a accès à internet. C’est en 1950 que ce concept fit son apparition en Amérique par le mathématicien Norbert Wiener. Ce dernier relate l’histoire d’un architecte qui supervisait à distance la construction d’un immeuble aux USA, et ce, à l’aide de transmissions de données. Et ce n’est qu’en 2002 que des millions de télétravailleurs sont recrutés en Europe.

    Mais le concept n’est pas encore bien accepté en France, puisqu’en 2017, seulement 3% des salariés le pratiquaient au moins un jour par semaine. Les employeurs étaient encore assez frileux et nous étions encore, pour bon nombre de dirigeants, dans un schéma organisationnel issu de la Révolution Industrielle : le management vertical avec la nécessité de devoir contrôler de façon physique l’exécution des missions et tâches de nos collaborateurs. Et pas encore prêts à changer de mode de commandement, au regard de la tâche complexe et sensible.

    Mais petit à petit, le télétravail est arrivé dans différents contextes, à la fois technologique, avec l’arrivée de nouvelles applications et d’essor de la digitalisation et écologique, avec la réduction notamment de l’impact énergétique lié au transport, du social et de la politique.

    La crise du COVID19, avec le confinement, a provoqué la mise en place du télétravail de manière forcée au sein de nos entreprises comme une solution alternative pour garantir la continuité de nos activités.

    Certaines y étaient déjà préparées grâce à aux échanges qu’ils ont peu mener avec les partenaires sociaux sur des thèmes comme l’équilibre vie privée – vie professionnelle, la gestion du stress ou tout simplement en raison  de la résolution d’un risque identifié – par exemple la fermeture du site en raison d’un sinistre majeur - dans le cadre de la gestion des risques

    Leur expérience et maturité sur le sujet font que les entreprises n’ont pas réagi de façon homogène face à ce bouleversement. En effet, cette formule modifie l’organisation du travail et nécessite de se pencher sur l’équipement nomade, la sécurité des données, le management à distance, adapter les outils de communication interne et externe, bien s’assurer de la qualité des connexions internet … Par ailleurs, des salariés se sont retrouvés plus en situation d’astreinte en gérant leur travail et leur famille en même temps et pas forcément dans les meilleures conditions.

    Les salariés de la branche Assurances ont massivement pratiqué le télétravail, pour beaucoup d’entre eux du jour au lendemain. Les dernières données montrent que 90% des salariés des grands sièges de l’assurance en région Ile de France étaient en télétravail en janvier dernier et que le nombre de jours télétravaillés par an et par salarié s’établit à 42.9 jours.

    Plébiscité dans un premier temps, le travail à distance mal préparé ou mal anticipé représente des risques après une période de quelques mois et la « magie » du télétravail commence à montrer ses limites et un nombre significatif de collaborateurs commencent à ressentir des effets d’isolement, de manque voire de rupture de lien social ou de surcharge de travail.  Les risques psychos sociaux commencent à émerger ; en effet, l’organisation de l’activité est modifiée, à la fois celle du salarié en télétravail, mais aussi celle de ses collègues et de sa hiérarchie.

    La réussite du télétravail dans une entreprise doit inévitablement s’accompagner d’un vaste programme de formation des télétravailleurs et des managers. Seule une méthode anticipative et participative permet de basculer des collaborateurs au 100% télétravail sans difficulté.

    Certaines compagnies d’assurance, encouragées par l’expérience positive du télétravail passée, vont même plus loin puisqu’elles proposent à leurs collaborateurs le « télétravail à la carte ». Cette organisation s’inscrit dans un accord d’entreprise signé avec les partenaires sociaux et propose aux collaborateurs de choisir librement le nombre de jours télétravaillés.

    Prendre en compte les impacts et accompagner le changement

    Placer « l’Humain au Centre » ne doit pas être qu’un effet de mode, au risque de ne pas récolter les fruits de cette nouvelle organisation et de voir des collaborateurs isolés et en souffrance. Les Directions des entreprises doivent travailler, collégialement, avec les collaborateurs et de façon transverse, sur trois thématiques identifiées à savoir,  il faut garder, renforcer et développer le lien social dans les équipes et inter-équipes, faciliter l’intégration des nouveaux entrants au sein d’une entreprise, et être mieux armé pour détecter les difficultés, les situations à risques et les risques psycho-sociaux (RPS) des collaborateurs. 

    C’est le challenge à court terme.

    Assurance de demain et Télétravail : Utopie ou Opportunité ?

    La voie est tracée et un retour en arrière semble impossible car les bénéfices de la formule sont supérieurs aux risques. Le nombre d’accords d’entreprises signés dans les différents groupes d’assurances démontrent que le mouvement est pris et que cette tendance correspond aux aspirations de bien être des salariés du secteur de l’assurance.

    Cela implique à l’avenir différentes réformes organisationnelles relatives aux locaux, à leur organisation, aux surfaces et à leur équipement mais surtout à la façon de manager et d’organiser la chaîne de travail entre les assurés, les réseaux de distribution et les collaborateurs des sièges.

    Les outils joueront également un rôle primordial au sens où ils doivent répondre tant à des standards de sécurité qu’à des standards ergonomiques et de complétude. Ils intégreront toujours davantage la qualité des données, l’intelligence artificielle pour des actes de plus en plus nombreux. Il est prévu que ces outils atteignent pour 2040 un niveau de maturité tel que 20 à 30% des métiers seront en partie ou à 100% automatisables.  La blockchain, qui a déjà démontré tout son bénéfice client pour des contrats simples, permettra d’amplifier le mouvement de prestations réglées dans des délais très courts dès lors que la cause se sera produite.

    La technologie toujours grandissante correspond par ailleurs à la demande des jeunes générations Z qui recherchent l’autonomie, l’amplitude horaire et l’accès à des fournisseurs modernes – numériques – en attente d’expertise pour les demandes plus complexes.

    Ainsi, le modèle qui semble se dessiner est celui des plateformes de travailleurs indépendants et collaborant ponctuellement sur des projets et où la nécessité de résider à proximité de son entreprise disparaît grâce aux outils numériques.

    Ces considérations impliquent un besoin important de formation aux outils et plus largement à l’ingénierie assurantielle pour nos collaborateurs et pour nos entreprises des investissements récurrents dans ces mêmes domaines.

    Toutes ces évolutions liées aux évolutions sociétales attendues des salariés de l’assurance d’équilibre vie privée avec la vie professionnelle, d’enrichissement du travail qui sous-tend vers de la valeur ajoutée, la recherche de bien- être au travail, vivre une expérience professionnelle motivante et enrichissante, tendent vers une recherche de liberté d’action ou chaque salarié devient une forme d’autoentrepreneur en lien avec une société qui sous-traite son activité.

    Le télétravail pour les décennies à venir fera partie intégrante de l’offre que devra proposer l’entreprise d’assurance afin d’attirer les talents et de les conserver. Ce critère fait et fera partie des critères de décision quant au choix de sa future entreprise.

    La vision proposée par le dirigeant et l’équipe de direction, la mission développée par l’entreprise d’assurance, le projet professionnel , les conditions d’exercice du travail dans des conditions répondant aux critères du moment feront que l’assurance de demain sera un domaine recherché par les futurs diplômés.

  • L’assurance à l’épreuve de la crise. Quelles problématiques nouvelles pour les français ? Quelles réponses possibles ?

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    Xavier Charpentier

    Fondateur et dirigeant – Freethinking (Groupe Publicis)

    Quelle mission, quelle proposition de valeur, demain, pour l’assurance ? C’est la question qui se pose tous les jours davantage aux assureurs, à mesure non seulement que la société française se transforme, mais que l’offre bancassurrantielle elle-même évolue à grande vitesse, et que des chocs exogènes comme naturellement la crise du Covid – mais avant elle la crise des subprimes, et demain quelle nouvelle secousse ?- font irruption dans la vie de tous. Cette question, nous ne prétendons naturellement pas y répondre dans cette réflexion – ce serait une tâche qui excéderait nos forces ! Mais simplement, modestement, apporter quelques éléments de réflexion qui la remettent en perspective, et les éléments de contexte à notre sens incontournables pour envisager l’avenir et comprendre le présent.

     

    Le pouvoir d’anticiper des Français mis à rude épreuve.

    C’est sans conteste le premier élément de contexte à prendre en compte quand on pose la question de l’avenir de l’assurance en tant que service et même de concept, et celui du futur économique des assureurs en tant qu’entreprises. S’assurer, c’est en première analyse anticiper l’avenir, se prémunir, prévoir ce qui pourrait arriver, raisonner au conditionnel. Mais quand les difficultés du présent, d’un aujourd’hui qui à la différence de celui de Mallarmé n’est pas un « vierge, un vivace et un bel aujourd’hui » mais au contraire, pour une grande partie des Français et d’abord ceux des classes moyennes et populaires, un aujourd’hui plutôt terne, incertain et difficile, quelle place y-a-t-il encore pour demain ?

    Comment anticiper le risque de demain quand manque le nécessaire d’aujourd’hui ?

    Car c’est le premier constat à avoir en tête quand on pense « assurance » et donc mobilisation de moyens financiers réels pour gérer un risque hypothétique. Un mot pour résumer l’état d’esprit de ces 70 à 80% de Français qui forment les classes moyennes et modestes en 2020 : « se restrictionner ». Un mot un peu étrange – en réalité un mot qui n’existe pas mais qui a été forgé par un consommateur participant à une de nos études en 2016[1]. Un mot qui dit bien les deux idées qui guident au jour le jour, dans leur consommation mais plus largement dans leur mode de vie, des millions de Français : se restreindre, se contraindre, subir des restrictions. Quelques chiffres à avoir en tête pour donner une réalité objective à ce que l’on a longtemps considéré comme un simple « ressenti » : 4 Français sur 10 ne sont pas partis en vacances en 2019[2]. Et 8 millions d’entre eux sont en situation de précarité énergétique la même année[3]. C’est-à-dire avant même que la crise du coronavirus n’intervienne, avec son cortège de licenciements et de difficultés économiques à venir.

    Comment préparer son propre avenir quand on se sent comptable de celui de ses proches ?

    C’est le deuxième constat à avoir en tête, qui vient compléter le premier et en un sens, le durcir. Quand on est structurellement confronté à des difficultés de pouvoir d’achat en raison de revenus réels qui stagnent – pour certains les difficultés sur le pouvoir d’achat remontent à la crise des subprimes, en 2008-2009, pour d’autres – les plus de 45 ans – elle remonte même au passage à l’euro, en 1999… - il faut trouver des solutions pour résister. Et ces solutions sont, de plus en plus, collectives et familiales : elles s’appellent entraide, solidarité intergénérationnelle, dépannage entre grands-parents et petits-enfants ou entre parents retraités et enfants adultes au chômage, précaires ou disposant de faibles revenus. C’est même une notion nouvelle qui apparaît, quand ces solutions deviennent permanentes : celle de niveau de vie partagé – le niveau de vie supposément accessible aux plus abrités – par exemple, les retraités disposant d’une pension correcte – devient en réalité bien moins élevé qu’il n’y paraît, puisqu’une partie en est réservée à l’épargne de précaution pour les enfants ou les petits-enfants étudiants… 

    Comment résister à la tentation de l’autarcie quand le repli semble la seule solution ?

    Enfin, prendre en compte le réel des classes moyennes et populaires dans l’appréhension de ce que peut représenter pour eux l’idée de « s’assurer pour demain / gérer un risque au conditionnel », c’est regarder en face la tentation de plus en plus forte qui est la leur : celle de l’autarcie, de la vie en dehors des systèmes et contraintes institutionnelles dont le monde de l’assurance fait partie en France. Avoir son potager pour cultiver ses propres fruits et légumes (14 millions de jardins potagers en 2020...), se doter d’un récupérateur d’eau de pluie pour économiser sur une dépense pourtant peu élevée mais surtout se sentir autonome, pratiquer le troc avec ses voisins ou sur des plateformes en ligne… Toutes ces pratiques, cela fait plus de 10 ans que les consommateurs les partagent avec nous dans notre Observatoire des classes moyennes. Mais aujourd’hui, cette volonté d’échapper à un système – la société de consommation de leurs parents - qui leur paraît de plus en plus inaccessible, et de ce fait de moins en moins désirable, s’étend au monde du service et du financier : c’est le constat que nous faisons dans notre dernière interrogation[4]. Pendant les deux confinements de 2020, ils ont appris – ou plutôt, ils ont accéléré leur apprentissage… Ils considèrent que le banquier leur a très peu parlé pendant cette période. Et que ce n’est pas si grave : il faut apprendre à s’en passer. Idéalement, il faudrait pouvoir se débrouiller sans lui – c’est impossible bien sûr, mais le référentiel est là. Et l’assureur ?

     

    Les assureurs : une crise peut en cacher une autre…

    Cette crise qui est aujourd’hui un état permanent de la société française, à tout le moins pour ses classes moyennes et modestes, c’est à la fois une crise du pouvoir d’achat, une crise de confiance, et une crise de l’avenir. Elle constitue donc la toile de fond de la relation des Français aux marques et aux entreprises autant qu’elle détermine leur stratégie patrimoniale et assurantielle. Et elle confronte le monde assurantiel à quatre défis.

    Premier défi : la nouvelle culture de la consommation.

    Aspirer, de plus en plus, à se débrouiller seul, en dehors des circuits économiques « institutionnels » vus comme inaccessibles, rechercher l’autonomie quand ce n’est pas l’autarcie pour économiser toujours plus et en même temps protester, contester l’ordre établi, c’est se forger une nouvelle culture de la consommation. Une culture de la consommation dans laquelle le référentiel devient d’abord la « bonne affaire », puis le low cost, puis le discount, et à l’extrême, le gratuit. Un gratuit dont la culture est, on le sait, particulièrement ancrée chez les jeunes, nés avec le streaming et les plateformes servicielles à libre disposition… Comment imaginer payer au prix fort un service d’une importance critique, certes, mais par essence « au conditionnel » (même s’il est une obligation légale) quand j’ai été initié depuis mon plus jeune âge à la gratuité de ce que j’utilise tous les jours ? Et que je n’ai pas les moyens de faire le moindre écart dans ma consommation ?

    Deuxième défi : la perception encore figée des assureurs.

    Car, en dépit de leur travail et de leurs efforts en matière d’innovation et de service, c’est un fait : le monde assurantiel est encore victime d’une perception relativement immobile de la part des classes moyennes et populaires avec lesquelles nous travaillons. Comment les différencier ? Qu’apportent-ils de nouveau ? Qu’est-ce que cela changerait à ma vie, de choisir celui-là plutôt qu’un autre ? C’est encore trop souvent à ce type de post que nous sommes confrontés, quand nous les interrogeons sur cet univers : « Les assureurs se disent tous différents… mais au final tous proposent à peu près les mêmes choses… ». Que cela soit juste ou injuste n’y change rien : dans un monde - le leur - qui change à toute vitesse sous l’impulsion du digital, la pression d’une pandémie, la contrainte d’un pouvoir d’achat réduit, le monde de l’assurance bouge peu, à leurs yeux. Seuls les mutualistes semblent offrir une vision différente – sans qu’on sache toujours très bien à quelle réalité elle correspond, d’ailleurs.

    Troisième défi : l’irruption annoncée des « Néos » : néo-banques, néo-assureurs.

    Ce constat est si évident qu’il n’a pas à être développé… Sauf sur un point, malgré tout : les Revolut ou N26 qui étaient jusqu’à récemment prisés d’une partie restreinte de la population – jeune, urbaine, voyageuse, souvent diplômée – deviennent là aussi un référentiel pour tous, et rapidement. On en parle, y compris dans la classe moyenne. Demain, le même phénomène pour un Lemonade européen ?  Sans même parler d’un Google ou d’un Amazon quand ils seront présents... 

    Quatrième défi : l’émergence des nouveaux risques.

    Enfin, parler de crise de confiance et de crise de l’avenir, c’est parler de crise du risque, pour ces classes moyennes et modestes qui font l’immense majorité de la société française. Qui risque quoi, aujourd’hui ? Qu’est-ce que je risque, aujourd’hui, ici et maintenant ? Et donc, sur quoi dois-je m’assurer, de quoi dois-je me prémunir, que dois-je véritablement si ce n’est prévoir, du moins anticiper ? Un accident de voiture, si je conduis très peu et m’efforce de passer aux mobilités douces, est-ce une probabilité plus « réelle » qu’une catastrophe climatique qui me toucherait directement ? Le risque géopolitique qui pouvait sembler si lointain et abstrait il y a 20 ans, dois-je m’en préoccuper à l’heure des commémorations de Charlie Hebdo et du Bataclan – et si oui qui peut me proposer quoi ? Et le risque sanitaire ? Jamais je n’aurais imaginé vivre une pandémie « comme dans un film », et pourtant… Une assurance, dans le monde en partie impensable, au sens strict du terme, qui est le nôtre, ça sert à quoi ? Et comment la choisir ?

     

    Quels enjeux et quelles réponses pour les assureurs ?

    Face à ce contexte en bouleversement constant, à ces nouveaux défis, à ces nouvelles contraintes et ces nouvelles peurs qui pèsent sur le moral et impactent le comportement de ces catégories sociales centrales, quelle réponse possible de la part des assureurs ? Trois pistes de travail sont peut-être à explorer, à l’écoute des Français.

    D’abord, donner de la valeur à l’intégrité.

    Repenser le sens et la valeur de ce que l’assuré paye, pour anticiper un demain plus incertain que jamais, mais dans un présent plus incertain aussi que jamais. Qu’est-ce qu’un prix juste, qu’est-ce qu’une démarche d’assurance au plus juste, quand le comportement change à ce point que la mobilité devient presque nulle ? Assurer une automobile, ça veut dire quoi quand on télétravaille toute une année, ou presque, et qu’on ne part pas en vacances, ou à quelques dizaines de kilomètres ? Certains assureurs ont pris l’initiative de mettre le sujet sur la table en 2020, et d’en tirer les conséquences financières. Ce type de démarche d’intégrité ne passe pas inaperçue auprès des Français.

    Faire évoluer la notion de risque.

    Par définition, le risque c’est ce qui est gérable – quand il ne l’est plus du tout, quand il est impossible de lui apporter une réponse, ce n’est plus un risque que l’on gère mais un danger que l’on subit. Comment rendre gérable le risque climatique ? Le risque terroriste ? Le risque sanitaire ? Le risque numérique ? Calculer ce que peut représenter, pour un consommateur, le prix de l’anticipation d’un risque qu’il n’avait jamais encore pensé comme tel, c’est sans doute une équation difficile à résoudre, mais difficile à contourner, aussi. 

    Réapprendre à parler d’avenir.

    Enfin, même si l’avenir est de plus en plus incertain, il faut bien continuer d’en parler. Ne vivre qu’au présent de l’indicatif n’est pas assumable pour une immense majorité de Français – leur recherche d’autonomie voire d’autarcie, leurs efforts pour mettre en place des solidarités intergénérationnelles en sont la démonstration. Mais comment parler d’avenir sans le faire de façon soit lénifiante, soit anxiogène ? Sans repeindre la vie en rose, ni rajouter du gris sur du gris ? Un sujet de communication autant que de marketing. Mais essentiel, tant l’époque, dans sa rudesse, demande justement du tact.

     

    [1] Étude FreeThinking Déflation 2ème Génération, 2016.

    [2] Source IFOP

    [3] Source Observatoire National de la Précarité Énergétique.

    [4] Étude Freethinking #RetourChezSoi, novembre 2020. 150 Français rassemblés sur notre plateforme en ligne pendant 4 semaines, pendant le deuxième confinement.